Librairie Fontaine Luberon
Apt - 84400
Rejoignez l'Association des Amis de Saint-Hilaire ! - infos -
Afficher la page plein écran - infos - Le raccourci CTRL et F - infos -
Librairie FONTAINE Luberon
16, rue des Marchands - 84400 Apt
Tél. : 04 90 71 14 03 - Fax : 04 90 74 63 59
Courriel : fontaine.luberon@wanadoo.fr
Ouverture : mardi au samedi : 9h00/12h30 - 14h30/19h00
► Site Internet de la Librairie FONTAINE Luberon - ici -
Choix d'Alain Vauprès de FONTAINE Luberon
Une manufacture lainière en Provence
À L'Isle-sur-la-Sorgue, les plus belles couvertures au monde sont tissées dans la manufacture provençale Brun de Vian-Tiran, et ce depuis 1808.
Huit générations, une famille, une passion: la laine, et déjà, il est temps de célébrer un bicentenaire d'exception!
Toutes les grandes inventions du temps ont contribué à cette belle aventure que nous conte, pour notre plaisir et notre attentive curiosité, Pierre Brun, l'actuel dirigeant de cette entreprise: "lorsque Jean-Louis Brun conçoit la collection de fibres rares Louis Brun, lorsque Claude Gutapfel, sur mon insistance, retrouve le Mérinos d'Arles voulu par Louis XVI, la manufacture progresse dans le droit fil de la tradition. Dans cet ouvrage, je vous invite sur la route de la laine, celle qui passe par L'Isle-sur-la-Sorgue".
C'est en alliant à la fois tradition et modernité que ses dirigeants successifs ont permis la pérennité de cette activité textile hors normes au cœur de la Provence.
Une manufacture lainière en Provence
Auteur : Pierre Brun
Textes et illustrations : de l'auteur
Éditeur : Équinox
Date de parution : juin 2008
Code ISBN : 978-2-84135-632-4
Format : 22 cm x 22 cm, 160 pages, broché
Prix : 30 €
Extrait
Pages 105 à 108.
Je n'avais pas dix ans lorsque mon père prit la décision de supprimer la dernière des deux roues hydrauliques qui depuis plus de cent ans avaient entraîné nos machines. Je ressens cette disparition avec beaucoup d'émotions car une masse de souvenirs de ma plus jeune enfance est attachée à cette roue.
Je devrais dire à ce mouvement. Installée au milieu de nos bâtiments entre foulons et filature, elle était restée le cœur de la fabrique, même si les derniers temps l'énergie qu'elle pouvait produire ne représentait plus qu'une petite fraction de nos besoins. Elle jouait aussi le rôle de machine élévatoire avec ses grands godets, les puisoirs qui, installés à sa périphérie, déversaient généreusement leur contenu dans une longue bâche haute lorsqu'ils atteignaient le sommet de leur course.
Une porte entrouverte dans le mur bajoyer qui flanquait la roue côté foulons permettait d'assister à un spectacle unique. En premier lieu de belles images animées: au sortir de la rivière et tout au long de leur lente ascension, les pales de la roue s'égouttaient en une pluie fine aux millions de gouttelettes rebondissant dans les structures. Les grands rayons qu'on appelait les bras, sans doute en raison de l'effort qu'ils transmettaient à l'arbre, découpaient en secteurs tournants le spectacle de la pluie.
Enfin, d'élégantes paraboles prenaient naissance vers le sommet de la roue: c'étaient les puisoirs qui déversaient leurs jets puissants à la manière des gargouilles des cathédrales .... mais nos gargouilles qui étaient en mouvement engendraient des paraboles en trois dimensions encore plus élégantes!
À la fascination des images s'ajoutait la batterie d'un orchestre. Sur fond de pluie bruissante, les jets des puisoirs percutaient le flanc de la bâche dans un claquement sec.
Tout en bas, on pouvait voir les grandes pales pénétrer dans la rivière comme pour la découper en tranches et en extraire la force hydraulique qui s'exprimait en lourdes pulsations. En aval, dans le canal de fuite, la masse d'eau en mouvement reprenait son calme, les ondes parallèles engendrées par les pales de la roue s'éloignaient en s'atténuant, la rivière lentement effectuait sa propre cicatrisation.
Cet endroit mythique où la Sorgue faisait don de son énergie à la manufacture me fascinait.
J'y retrouvais mon grand-père, lisant le Méridional assis dans son fauteuil en osier, en quête de fraîcheur: la climatisation n'avait pas encore été inventée et la roue des cardes constituait un générateur de froid idéal. Pour rien au monde nous n'aurions cédé notre place car ce spectacle grandiose n'était joué que pour nous deux.
Bien vite et naturellement notre conversation roulait vers l'hydraulique et mon grand-père profitait de l'exemple de cette machinerie en mouvement pour m'initier aux théories de la force motrice. En raisonnant sur le spectacle de la roue, il me faisait imaginer d'autres formes de machines et m'expliquait les turbines, ces moteurs dont il avait lui-même beaucoup rêvé et dont, faute de chute suffisante, notre manufacture n'avait jamais pu se doter.
Il y avait ici quelque chose d'incompréhensible pour mon esprit d'enfant familier du mouvement des roues. Comment les rotors des turbines, noyés dans la rivière et invisibles, pouvaient-ils bien se mettre en mouvement autour d'un arbre vertical?
La patience de mon grand-père devait être immense à mon égard, mon écoute était à la hauteur de l'affection qu'il me portait. Comme j'éprouvais de grandes difficultés à assimiler le fonctionnement de l'hélice, dans un souci pédagogique poussé à l'extrême un jour, il m'offrit une turbine de sa construction.
C'était un petit rouet tournant dans sa chambre hydraulique qui n'était autre qu'une boîte de lait en poudre Blédina dont le fond et le couvercle avaient été aménagés en passages d'eau. J'ai testé ma turbine sous tous les robinets de la maison, me faisant rappeler à l'ordre par mes parents pour risque certain d'excédent de consommation, mais refusant toute sanction, considérant qu'il ne s'agissait en aucun cas de jouer mais de pratiquer l'enseignement de mon grand-père.
Revenons au centre de la fabrique, à la roue.
Un deuxième spectacle s'offrait à moi, symétrique du premier, côté salle des cardes. C'était le roulement de tambour accéléré que produisaient la grande couronne et ses intermédiaires. Ces immenses engrenages multipliaient les tours de roue pour actionner les arbres de transmission dispersés dans toute la manufacture pour amener l'énergie à portée de chaque machine.
Avec beaucoup d'ingéniosité, nos anciens avaient conçu ces engrenages pour minimiser le bruit et l'usure. Si la grande couronne était entièrement en fonte comme son premier pignon antagoniste, c'était pour encaisser les efforts énormes dus à la lenteur du mouvement. En revanche, ils avaient réalisé les grands engrenages avec des dentures en bois amovibles travaillant contre des petits pignons en fonte.
Mécaniquement, le chêne vert et la fonte faisaient bon ménage avec un faible coefficient de frottement et ces ensembles s'avéraient relativement silencieux. C'est ainsi que deux symphonies bien différentes se jouaient de part et d'autre du mur bajoyer.
Au centre de la grande couronne se situait, quoique toute petite, une pièce maîtresse de l'usine: la clavette. Ce coin conique en acier enfoncé entre cuir et chair, c'est-à-dire dans la cannelure de l'arbre de la roue et celle du moyeu, rendait l'ensemble solidaire: toute l'énergie de la rivière capturée par la roue et transformée par les engrenages passait par cette petite clavette qui faisait l'objet d'une surveillance quasi journalière... et, si nécessaire, d'être resserrée.
Aujourd'hui, il est essentiel d'assurer journellement une sauvegarde informatique... autres temps!
Un endroit m'était particulièrement cher: le poste de commande de toute cette machinerie. II se situait au niveau des grands engrenages, c'était la manivelle. La manivelle qui commandait la vanne de la roue et par là le débit de la Sorgue permettait de régler la vitesse de rotation.
Chaque soir, j'accompagnais mon père pour faire "son" tour de l'usine. Cette ronde de sécurité était porteuse de beaucoup d'émotions et même de frayeurs car, dans les profondeurs des ateliers et des entrepôts, nous n'avions pour nous diriger que le faisceau pulsant de la lampe Bretton, un boîtier en aluminium dépourvu de pile mais renfermant une dynamo qu'un mécanisme de crémaillère et de roue libre mettait en rotation à chacune des compressions exercées par la poignée de main énergique de mon père.
Lorsqu'il me confiait le générateur de lumière, mes deux mains réunies s'épuisaient et bien vite je me voyais contraint de lui repasser le flambeau. Plaçant mes pas dans ceux de mon père, je n'étais qu'à moitié rassuré, écarquillant les yeux pour discerner un chemin au milieu de ces fantômes en noir et blanc qui faisaient des apparitions à chaque pulsation du faisceau.
Le tour de l'usine se terminait à la manivelle de la roue, véritable passerelle du paquebot. Car la roue ne s'arrêtait jamais. La nuit tombée, toutes machines endormies, la roue assurait l'éclairage de la maison familiale attenante à la filature en entraînant un superbe alternateur.
Cette machine électrique délivrait cent dix volts sous cinquante Hertz de fréquence, mais lorsque la journée de travail s'achevait, il était de coutume de réduire la vitesse de la roue qui, en l'absence de dispositif régulateur trouvait un équilibre à peu près à mi-régime. C'est à l'oreille que se faisait l'estimation de la fréquence, en agissant sur la manivelle de la vanne et ce réglage se devait d'être précis: à une dent près au cliquet!
Pour baisser la vanne, une manœuvre sans filet, j'accompagnais des deux mains mon père qui d'un bras ferme tenait le bout de la manivelle. Pour le réglage fin il me laissait agir seul. En vérité, l'objectif était double: il fallait d'une part réduire la fréquence et d'autre part maintenir un sous-voltage.
Mes yeux étaient rivés sur l'aiguille du voltmètre et je devais arriver à quatre-vingt-dix volts. De son côté, mon père intervenait sur le volant du rhéostat pour ajuster l'excitation de l'alternateur, et ce faisant il contrariait mon propre réglage.
Compte tenu du but final de la manœuvre, nous aurions pu nous contenter d'à peu près mais il n'était pas question de faire les choses légèrement. Dans mon esprit d'enfant, la mission revêtait une importance capitale: il s'agissait de maintenir stable et disponible jusqu'à l'aube notre unique source de lumière. Au poste de la manivelle s'organisait la veille et la vie d'une nuit.
La sécurité serait assurée par les lampes placées aux points stratégiques pour baliser le chemin depuis la maison jusqu'à la filature et au tissage. Flambeau du moulin, la veilleuse un peu sous voltée et pâlotte vieillirait moins vite. Il ne restait plus qu'à fermer le portail de la cour, à jeter un regard depuis le pont de l'usine sur la Sorgue des Jardins pour nous rassurer de sa présence: notre petit monde était en ordre et avec bonne conscience nous pouvions aller nous coucher.
Commentaires
• C’est l’histoire de ce produit de la qualité française, célèbre dans le
monde entier, qui fait l’objet de ce livre. Il décrit "la belle ouvrage",
montre à leur tâche les ouvrières et les ouvriers d’ateliers; mais aussi des
entrepreneurs, intelligents, dans leurs maisons de fabriques et de
commerce, dans une région qui fut, avec Avignon, et bien avant
Lyon, l'une des dernières étapes des "routes de la soie".
Bien que ces routes aient une existence vieille de plusieurs millénaires,
l'expression "route de la soie" ne date quant à elle que du XIXe siècle; on
la doit à Ferdinand von Richthofen, géographe allemand. Cette route, ou
plutôt ces routes, étaient empruntées pour tous les échanges
commerciaux entre l'orient et l'occident. Elles furent également des
voies d'échanges culturels et religieux.
• Un ouvrage attentif à la variété des conduites, hésitantes ou
persévérantes, et des résultats, décevants ou prestigieux, qu’à la logique
des stratégies patrimoniales et familiales. Le livre de Pierre Brun retrace
l’histoire collective d’une des plus belles aventures industrielles de
L'Isle-sur-la-Sorgue. Il se veut aussi un aide-mémoire contre l'oubli d'une
industrie de la laine qui a aujourd'hui quitté la Provence.
• Un plaidoyer pour la défense de "la belle ouvrage"!
Pierre Brun
Après quatre années à Roubaix pour décrocher un diplôme textile, Pierre Brun rejoint la manufacture familiale, et entre dans le "tissage", un matin d'août 1966. Très vite, il se révèle être un technicien industrieux. Mais c’est aussi et surtout, un novateur, pour qui la nouveauté doit être le moteur de l’expansion de l’entreprise, ainsi que le faire valoir de deux principes inculqués par son père, Louis Brun, qui affirmait avec force "la nécessité d’exercer ce métier en ayant toujours présents à l’esprit: le beau et le bien."
► Brun de Vian-Tiran - ici -
► Le mouton à travers les provinces françaises - ici -
Les moulins de L'Isle-sur-la-Sorgue au XIXe siècle
Plan des branches de la Sorgue et des moulins établis au XIXe siècle. En rose les moulins à soie, en bleu les moulins à foulon des lainiers, en vert les moulins désaffectés. Un quartier de la soie se dessine au nord et sur le canal de l'Arquet: il s'agit des moulins de basse-chute et donc de faible puissance. Les moulins à foulon nécessitant davantage d'énergie sont situés sur les chutes les plus importantes: Boïga, Canal de Valabrègue, Canal du Moulin vert.
Au fil des bras de la Sorgue
Une manufacture photographiée par Harald Finster
Pour agrandir le document, cliquez - ici -
Pour agrandir le document, cliquez - ici -
Pour agrandir le document, cliquez - ici -
Pour agrandir le document, cliquez - ici -
Pour agrandir le document, cliquez - ici -
Pour agrandir le document, cliquez - ici -
Pour agrandir le document, cliquez - ici -
Pour agrandir le document, cliquez - ici -
Pour agrandir le document, cliquez - ici -