Abbaye Saint-Hilaire
Crucifixion du XIVe siècle
Chapelle annexe du XIVe siècle
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Une peinture murale comme retable
Dans cette chapelle, à hauteur d'une possible table liturgique, le mur est orné sur toute sa largeur d'une fresque d'inspiration piémontaise, datée du XIVe siècle représentant une Crucifixion restaurée en août 1999, par Nathalie le Van (nettoyage, refixage, consolidation et réhabilitation de la structure mécanique de l’œuvre).
La représentation de la Crucifixion dans de grandes compositions aux tympans des églises est un phénomène tardif dans l'Occident médiéval. Les premiers exemples de la fin du XIe siècle étaient liés aux hérésies cathares du sud de la France. Ce thème se diffusera largement au XIIIe siècle afin de rappeler la rédemption de l'humanité par le sacrifice de Jésus.
L'image est saisissante: Jésus crucifié entouré des deux larrons, dont seul le visage du bon larron placé à droite n'a pas été pioché... Les deux larrons sont crucifiés à droite et à gauche, pour montrer, que l’universalité du genre humain est convoquée au sacrement de la Passion du Seigneur.
Outre les anges situés de part et d'autre de la tête du Christ, au pied des croix est représenté un petit monde organisé en plusieurs groupes:
Marie Madeleine, la Vierge accompagnée de Saintes Femmes et de l'apôtre Jean* à sa droite (identifiable par le tracé de son nimbe), debout derrière un religieux carme reconnaissable par son manteau blanc, enfin deux groupes compacts de personnages parmi lesquels doivent figurer Nicodème et Joseph d'Arimathie, sont représentés dans les angles inférieurs droit et gauche.
* Évangile de Jean 19, 26: "Femme, voici ton fils". En faisant cela, il va à contresens de toutes les prophéties, celle de l’A.T. (Za 13, 7), mais aussi celles du N.T. lorsque Jésus annonce qu’il se retrouvera seul au moment décisif (Mt 26, 31; Lc 22, 31; Mc 14, 27 et Jn 16, 32).
Aucune indication de paysage n'est lisible à ce jour. Le pourtour de cette fresque est ceint de motifs de style cosmatesque (frise) et un médaillon historié est encore visible dans l'axe du décor inférieur.
Dans son mémoire de fin de travaux, Nathalie le Van indique que cette œuvre réalisée à fresque, sur un enduit fin de très faible épaisseur: 2 à 4 mm, composé d'un mélange de chaux et de sable blanc, est soumise à des conditions environnementales souvent extrêmement dégradantes: remontées d’eau (défaut de captage et d'évacuation des eaux pluviales), action des sels, condensations, phénomènes d'évaporation amplifiés par les courants d'air dus à l'ouverture prolongée des portes d'accès.
Mais malgré l'importance des surfaces lacunaires, qu'elles soient figuratives (visages, mains, les corps en général), ou qu'elles soient architectoniques, pour partie conséquence d'un piquetage mécanique favorisant l'adhérence d'un enduit, il demeure que cette fresque est un témoin exceptionnel de l'art pictural religieux de la région provençale.
Il faut ici mentionner le frère carme Fra Filippo Lippi (infos - v. 1406†1469), maître de Sandro Botticelli, qui compte parmi les peintres et frésquistes les plus remarquables du Quattrocento.
► Fra Filippo Lippi - ici -
Cette très surprenante Crucifixion, au réalisme populaire, semble refléter le retour à une recherche spirituelle et aux principes de la Règle primitive de saint Albert, en opposition avec l'expérience raffinée des cercles humanistes florentins (cf. Carmes).
Au XIVe siècle, les pigments (infos) étaient appliqués suivant deux techniques plus ou moins maîtrisées, la technique dite à fresque inspirées de l'Antiquité, et la technique dite à sec.
Les techniques d'exécution des fresques
Le mot italien fresco signifie frais, et la fresque est une peinture appliquée sur un mur recouvert d'un enduit frais encore humide, d'où son nom qui apparaît pour la première fois dans le traité Il Libro dell’arte, de Cennino Cennini, qui date de la fin du XIVe ou du début du XVe siècle.
Les deux caractéristiques essentielles de cette technique sont:
1° de faire physiquement et chimiquement corps avec son support;
2° de ne
pas s'obscurcir contrairement aux peintures à l'huile, ceci du fait
que
les
couleurs n'ont pas été mélangées avec un liant putrescible et
donc susceptible d'altération.
Cette technique regroupe deux principes distincts: la fresque pure et la fresque à chaux. Elle s'exécute sur des enduits frais à base de chaux (hydroxyde de calcium, basique, Ca(OH)2), la fixation des pigments (infos) mélangés à l'eau ou à l'eau de chaux étant assurée par le principe de la carbonatation.
Ces deux techniques ne requièrent ni liant, ni fixatif: les couleurs en poudre sont dissoutes dans l'eau ou mieux dans l'eau de chaux que l'on obtient en laissant reposer une solution saturée de chaux: l'eau de chaux affleure en partie haute du récipient tandis que la chaux éteinte se dépose au fond.
Les couleurs sont appliquées sur un enduit frais à base d'hydroxyde de calcium, basique, Ca(OH)2, celui-ci, au contact du dioxyde de carbone, acide (CO2 - gaz carbonique) de l’air, réagit en formant du carbonate de calcium, généralement sous forme cristallisée et dure de calcite, CaCO3, réaction que l'on traduit par la formule chimique suivante:
Ca(OH)2 + CO2 → CaCO3 + H2O
C'est cette carbonatation qui caractérise la peinture à fresque, en permettant l'agglutination des pigments chromatiques avec le carbonate de calcium. La carbonatation est supérieure sur la couche externe de l'intonaco, où elle forme une sorte de pellicule calcaire cristalline (calcin). Il s'agit de minuscules cristaux allongés qui, en s'imbriquant, forment un "tissu" dont la compacité comparable à celle du feutre en déterminera sa qualité et sa pérennité.
À partir des descriptions précises fournies par Pline et Vitruve dans son traité en 10 volumes De Architectura, l'on constate que les méthodes de réalisation changent au cours des siècles en fonction des exigences, En Italie, après l'an mille jusqu'au milieu du XVIe siècle, on préfère les enduits compacts et lisses, avec de nombreux glacis de couleur. Après le XVIe siècle, on privilégie les enduits légèrement granuleux, voire rugueux, et le travail de la pâte.
Au XVIe siècle, l'exécution d'une peinture à fresque répond ordinairement aux règles de l'art suivantes:
1° La première couche
ou arriccio,
réalisée par un maçon, avait pour
fonction d'égaliser la surface du
support avec un mortier de
sable et
chaux grossier.
L'arriccio est un crépi rugueux, composé à partir d'un sable grossier et de granulométrie irrégulière, conférant à l'enduit une texture consistante et en même temps poreuse.
Cette porosité ayant pour fonction d'éviter les déséquilibres entre la température interne du mortier et la température extérieure, déséquilibres à l'origine de phénomènes de soulèvement et/ou décollement.
Cette première couche, dont l'épaisseur doit être d'un à deux centimètres, a pour but de rendre rugueuse la surface qui doit accueillir la couche d'impression sur laquelle peint l'artiste.
Si le mur présente des irrégularités qu'une couche de deux centimètres d'arriccio ne suffirait pas à aplanir, on en étend plusieurs couches, en gardant bien à l'esprit qu'une couche ne doit être étendue que lorsque la précédente est bien sèche.
2° La deuxième couche ou intonaco,
elle aussi réalisée par un maçon, est
l'enduit lisse sur
lequel peint l'artiste. Il est
constitué d'une partie de
chaux éteinte pour deux parties de
sable, de
grain plus ou moins fin. Son
épaisseur ne doit pas dépasser quatre
ou
cinq millimètres. Si l'intonaco
est trop épais, des craquelures se
formeront pendant le séchage car, en
durcissant, la surface crée
une tension trop forte sur la couche plus
profonde, encore humide et molle.
Si l'on veut un intonaco plus lisse encore, on peut superposer aussitôt une deuxième couche, comprenant du sable extrêmement fin et/ou de la poussière de marbre. La couche doit dans ce cas être épaisse de deux millimètres environ, et composée d'une partie de chaux éteinte (élément liant) pour une partie de sable ou de poudre de marbre (élément inerte).
L'intonaco est prêt à être peint lorsque, touché avec un pinceau mouillé, il absorbe rapidement l'humidité.
3° Cette deuxième couche
pouvait être
complétée d'une mince couche de
lait de chaux (intonachino), sur
laquelle, à frais, l'artiste esquissait:
•
soit un dessin
régulateur tracé dans
l’enduit frais, destiné à la mise en
place
de la composition
géométrique de la peinture (à l’aide de corde, de
compas ou de
poncifs…);
•
soit un "dessin préparatoire" de sa
composition (sinopia),
divisé à la
manière d'une bande dessinée,
en tenant
compte des différents niveaux
accessibles depuis un
échafaudage
(pontate),
et d'une exécution
contenue dans une journée
(giornate)
avant de
procéder à l'application
des
pigments.
4° La troisième ou la
quatrième couche
correspondait à la couche picturale,
exécutée sur l'enduit humide,
préalablement lissé, afin de faire remonter
l'humidité à sa surface et
favoriser ainsi sa carbonatation et celle des
pigments.
Ces difficultés d'exécutions seront à l'origine d'une simplification au fil des siècles des techniques de la fresque romaine, donnant ainsi naissance à la technique dite à sec.
La technique dite "à sec"
Cette technique regroupe trois principes distincts: la peinture à la chaux, la détrempe et la peinture à l'huile. Elle s'exécute sur des enduits secs de chaux, ou de chaux/plâtre.
Il faut lier et coller les pigments au mur grâce à un produit fixatif ou collant. Le mélange peut être posé sur un enduit (ou un badigeon) de chaux ou de chaux/plâtre, sec ou réhumidifié.
Cette technique est très variée car il existe plusieurs sortes de liant organique en émulsion (eau, lait de chaux, huile de lin, de noix), de colle (peau, poisson, os bouilli, jaune d'œuf, résine, etc.). C’est une peinture plus fragile que la fresque, du fait d'une carbonatation insuffisante.
Durant le Moyen Âge, les peintures murales ont été réalisées soit à la fresque, soit à sec, comme à l'abbaye romane de Saint-Savin-sur-Gartempe dans le département de la Vienne (infos), soit commencées à la fresque et terminées à sec.
La composition des pigments utilisés par les artisans du Moyen Âge était principalement à base de produits minéraux et végétaux. Les méthodes modernes d'analyse physiques et chimiques sur des prélèvements permettent de définir le type des produits utilisés et leurs provenances.
► Nature des pigments utilisés à Saint-Hilaire - ici -
Travaux préliminaires à l'application des pigments
L'exécution d'une fresque est précédée de travaux préliminaires: l'esquisse, la réalisation des cartons, le report du dessin sur le mur par la méthode du spalvero ou de l'incision, et l'étalage de l'intonaco (enduit lisse) sur la première couche de crépi rugueux ou arriccio.
L'esquisse préparatoire (bazzettà) est le dessin du sujet tel qu'il a été conçu. Réalisée à la détrempe ou à l'aquarelle, elle doit tenir compte des dimensions de la future fresque. Plus la surface à peindre est vaste, plus la réalisation d'une esquisse correcte est importante.
Du bazzetta on passe au carton, sur lequel le dessin à réaliser est mis au net grandeur nature. Son nom cartane (grand papier) vient de ce que les peintres étaient autrefois obligés d'assembler un grand nombre de feuilles de papier (carta) pour en obtenir une de taille suffisante.
On peut transférer le dessin sur l'intonaco par deux méthodes: le spolvero et l'incision. Dans le premier cas, le dessin réalisé sur le carton est reporté sur un papier robuste (carta da spolvero).
Avec un foret ou une pointe d'os, on perfore les lignes du dessin. Pour éviter que le piquetage produise des bavures sur le revers du papier, on retourne celui-ci et on en ponce légèrement la surface avec un papier de verre très fin le long des lignes pointillées.
Puis on applique le poncif ainsi préparé sur le mur fraîchement enduit et on tamponne les lignes perforées avec un sachet en toile, à fibres très lâches, rempli généralement de charbon de bois ou d'une couleur en poudre.
L'opération terminée, on retire la feuille et le tracé du dessin reste imprimé sur l'enduit frais. Pour l'incision, on passe un stylet pas trop aiguisé sur les contours, sans s'attarder, de façon à éviter que la feuille se colle au mortier, puis on détache la feuille.
Le contour du dessin est ainsi incisé dans l'enduit frais. À l'époque Gothique et jusqu'à la fin du XVe siècle, on utilise généralement la méthode du spolvero pour reporter le dessin sur l'enduit (on aperçoit des traces de spolvero sur certaines œuvres de Paolo Uccello 1397†1475 ou de Piero della Francesca 1415†1492).
À partir du XVIe siècle, au contraire, les peintres privilégient l'incision, dont le tracé peut aujourd'hui aider à redécouvrir les fresques dissimulées sous plusieurs épaisseurs de badigeon.
Lorsque l'arriccio est sec, le peintre y esquisse schématiquement le sujet à représenter: c'est la sinopia, qui sera ensuite progressivement recouverte par l'enduit frais.
La sinopia permet de déterminer la division de la composition d'ensemble en fragments correspondant à la partie de la composition susceptible d'être achevée le jour même, avant que l'enduit ne soit sec, d'où le nom de giornata (journées).
On peut prolonger la durée de la giornata en humectant régulièrement le mur à l'aide d'un vaporisateur. La journée achevée, la partie d'intonaco non peinte sera éliminée par découpe à angle vif.
Le travail sera repris après que le maçon ait étendu une nouvelle couche d'intonaco frais raccordé au niveau de la découpe.
La fresque terminée et sèche, il peut arriver que l'on ait besoin de faire des retouches et d'étendre en glacis les pigments qui ne résistent pas à l'alcalinité de la chaux - bien qu'il s'agisse de chaux éteinte.
Pour pratiquer des retouches ou des repentirs à sec (a secco), Cennini préconisait de préparer la surface en employant la technique suivante:
"Prends une éponge bien lavée; mets un jaune d'œuf avec le blanc dans deux bols d'eau claire; mélange bien le tout et, avec l'éponge à demi pressée, passe cette tempera de façon égale sur tout l'ouvrage que tu dois peindre à sec et aussi embellir d'or; puis mets-toi à peindre librement, comme tu veux."
En pratique, on mélange l'œuf entier dans un litre d'eau, en agitant énergiquement la bouteille. Le liquide obtenu est étendu au pinceau ou à l'éponge, à volonté, et ce même liquide servira à détremper les couleurs.
Une reproduction de la voûte de la nef de l'abbaye
Saint-Savin-sur-Gartempe au Palais de Chaillot
(Actuelle Cité de l'architecture et du patrimoine)
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L'Illustration - 8-15 avril 1944
Un ensemble exceptionnel: la "Sixtine de l'époque romane" (André Malraux).
Pendant plusieurs siècles, du XIe au XVIe siècle surtout, nombre de monuments civils ou religieux de la France attestèrent combien était vif le goût de la couleur chez nos aïeux. Certes, il nous faut faire un réel effort d'imagination pour nous représenter aujourd'hui l'aspect des églises médiévales entièrement peintes.
Peut-être, si par un coup de baguette miraculeux il nous était donné de les voir apparaître devant nous telles qu'elles étaient alors, serions-nous déconcertés, voire offusqué par une tapageuse polychromie.
Mais le temps s'est chargé d'assagir ce que ce coloriage avait, croit-on, de trop intense ou de trop indiscret. Et telles que nous les voyons, les décorations intérieures des sanctuaires de la période romane ou de la période gothique nous paraissent pleines de séduction.
Celles de ces peintures murales qui ont duré en dépit des siècles et des hommes sont encore dans notre pays plus nombreuses qu'on ne le suppose généralement. Selon une excellente tradition, due à une suggestion de Prosper Mérimée (1803†1870, qui a été l'un des premiers érudits à s'intéresser à cette question), chaque année, par les soins du service des monuments historiques, plusieurs relevés de fresques intéressantes sont faits à l'aquarelle.
Ainsi a été réunie une documentation sur la valeur de laquelle il n'est pas besoin d'insister. Mais les cartons qui la renferment ne sont évidemment ouverts que par les quelques architectes et quelques historiens de l'art.
Le conservateur du musée des Monuments français, homme de science et d'action, se demanda au moment de la réinstallation de ses collections s'il n'y avait pas à faire quelque chose de plus pour obtenir un témoignage durable de l'état présent des plus précieuses de ces peintures et les faire connaître à un public plus étendu.
L'idée lui vint qu'on pourrait exécuter des répliques non seulement en couleurs, mais aussi en forme. Son dessein rencontra une entière approbation auprès des milieux spécialisés et des autorités compétentes, et l'on se mit au travail.
Au second étage du musée des Monuments français installé au Palais de Chaillot, qui offrait des salles spacieuses, à l'aide de moulages des détails ou des ensembles architecturaux furent reconstitués: ...telle arcade de cloître, telle voûte de chapelle, telle crypte. Puis, une fois ces architectures dressées et patinées, les copies des peintures murales y sont placées.
On avait tout d'abord songé à exécuter ces copies dans les conditions mêmes des peintures à fresque; on a bientôt renoncé à cette méthode, qui ne permettait pas au copiste de peindre la réplique auprès de l'original.
L'emploi comme subjectile d'un matériau récemment créé par l'industrie ne s'avéra pas satisfaisant à l'usage. Finalement on a eu recours au marouflage, mais sur la toile un enduit très utilisé dans la construction moderne est employé pour assurer la matité indispensable.
Des artistes se sont consacrés à cette tâche avec un scrupule, une ardeur, une foi qui ont quelque chose d'émouvant. Les résultats obtenus méritent des éloges, sans restriction.
L'entreprise était opportune. Même sans parler de catastrophes, toujours possibles, et plus à redouter maintenant que jamais, on doit constater que les chances de longévité de toutes les peintures murales de haute époque sont précaires.
Leur vieille ennemie, l'humidité, a causé l'anéantissement de beaucoup d'entre elles. Ceux de nos contemporains qui ont étudié les survivantes ont pu observer qu'elles avaient changé en un tiers de siècle. Certaines ont pâli, d'autres se sont évanouies. Pour des raisons qu'on ne distingue pas clairement, il semble que depuis quelques années leur dégradation se soit accélérée.
Plus d'une qu'on avait repérée pour la conservation apparente de sa composition et de son coloris s'est si promptement fanée qu'il a fallu renoncer à établir d'après elle une réplique.
Un petit fait donne l'idée de la fragilité de ces vénérables chefs-d'œuvre. Un des artistes qui travaillent pour le Musée des Monuments français copiait tout dernièrement une fresque de la voûte d'une église poitevine. Un grand silence régnait dans l'édifice, dont il était le seul occupant humain. Toutefois, du haut de l'échafaudage sur lequel il était juché il entendait de temps à autre un très léger bruit, un petit crépitement furtif.
Il crut d'abord à la présence insolite d'un oiseau ou d'une bestiole venue des champs voisins. Mais ce bruit se reproduisit à intervalles irréguliers les jours suivants; intrigué, il voulut en découvrir la cause et il finit par constater qu'il était produit par de minuscules fragments de fresque peinte qui se détachaient de la voûte et tombaient comme des grêlons sur le dallage de la nef.
Il va de soi que ce qui est présenté dans la nouvelle section du musée des Monuments français est un choix médité. Nous épargnerons au lecteur une énumération. Contentons-nous d'indiquer que c'est principalement dans la région poitevine ainsi qu'en Berry et en Touraine que des ensembles décoratifs relativement bien conservés ont pu faire l'objet d'une imitation littérale.
C'est avec un soin tout particulier qu'un tel hommage est rendu à l'abbaye de Saint-Savin-sur-Gartempes, justement célèbre depuis l'étude que Mérimée lui consacra en 1845.
"L'existence, écrivait-il alors, d'une voûte de nef conservant encore un ensemble immense de peintures murales qui remontent à une époque fort reculée du moyen âge est une espèce de prodige aujourd'hui: aussi l'on en cite plus qu'une seule en France, c'est Saint-Savin. Après huit siècles, ses fresques subsistent, et, bien que dégradées, elles offrent toujours un vaste sujet d'étude à l'artiste et à l'antiquaire."
Après avoir exprimé l'espoir qu'avec l'aide des crédits accordés et grâce à des soins intelligents ces grandes compositions auraient encore une longue durée, Mérimée ajoutait: "Malheureusement, les secours ont été tardifs et ne pouvaient d'ailleurs avoir d'autre effet que de reculer l'époque d'une destruction complète. Chaque jour, cependant, doit effacer quelques traits, affaiblir quelque couleur…"
Du temps de Mérimée il semblait que le seul moyen de conserver efficacement ces peintures ou plutôt d'en perpétuer le souvenir, c'était de les reproduire par le dessin et la gravure. Et il s'ensuivit la publication d'un bel album in-folio, édité par l'Imprimerie royale, et dont les planches étaient dues à Jean Alfred Gérard-Seguin (1805 † 1875).
Un siècle plus tard la France érudite a trouvé un moyen plus efficace d'exaucer le vœu de l'illustre écrivain auquel est due la sauvegarde de Saint-Savin: au Palais de Chaillot, dans une galerie de près de 30 mètres de longueur les voûtes en berceau de l'église poitevine ont été reconstituées et toutes les peintures en bon état ou encore lisibles ont été nous ne dirons pas fidèlement, mais amoureusement reproduites.
Qu'il s'agisse de Saint-Savin, de Montoire, de Saint-Hilaire de Poitiers, de Nohant-Vicq, de Brioude, de Saint-Aubin d'Angers, on ne peut donner sur les auteurs de ces décorations murales et sur la date où elles furent exécutées que des indications assez imprécises.
Que la plupart d'entre elles soient dues à des artistes admirablement doués, à des maîtres, voilà qui ne fait pas de doute. Mais sur le nom, et à plus forte raison sur la biographie de ces créateurs d'images, les documents ont fait jusqu'ici défaut et les historiens en sont réduits à des hypothèses.
Il est logique qu'on soit mieux renseigné sur les techniques auxquelles ces peintres eurent recours. Un examen attentif permet de se rendre compte dans une certaine mesure de leur méthode de travail et particulièrement des médiums qu'ils utilisaient pour une sorte de peinture à la détrempe: colle de peau, colle de poisson, caséine, blancs d'œuf. Tous m'employaient pas les mêmes recettes, qui durent plus ou moins varier selon les époques et les contrées.
Plusieurs de ces artistes semblent s'être adonnés à des cuisines assez complexes: ils leur arrivaient par exemple, après avoir peint une scène à fresque – sur le mortier frais – de recourir ensuite à la peinture à la colle pour ajouter des détails et des ornements.
Notamment ils revenaient par ce procédé sur les visages des personnages représentés pour indiquer, schématiquement d'ailleurs, le modelé, aviver l'expression, donner plus d'importance au regard.
Il n'y a pas lieu de s'étonner si ces repeints, qui ne faisaient pas intimement corps avec la couche de la fresque, se sont, en de multiples cas, détachés de leur support: d'où ces personnages aux yeux absents que nous montrent trop souvent ces peintures murales.
La palette des décorateurs des XIe et XIIe siècles était restreinte. Un seul bleu (peut-être du cobalt), un blanc, un noir, des verts rompus y tiennent une place discrète, les jaunes, les bruns, les bruns rouges y dominent: en somme la gamme chaude de ces terres dont la plus haute antiquité avait su déjà faire un large et fécond usage.
Loin d'être une entrave pour leur génie expressif, ce registre peu étendu de couleurs a servi ces peintres de murailles. Il les a invités, sinon contraints, à des partis pris d'interprétation. Il leur a interdit les minuties d'une imitation réaliste des figures et des accessoires. Il a contribué à l'harmonie de leurs compositions. Mieux encore, il a assuré l'homogénéité d'ensembles décoratifs dont les différentes parties étaient dues à différentes mains et à des talents divers.
L'église de Saint-Savin ou l'église de Nohant-Vicq sont deux exemples remarquables et délicieux d'une unité due à des accords de tons qu'une polychromie plus fournie, plus riche eût compromis ou rendus irréalisable.
Quand les parisiens, sans sortir de leur ville, auront-ils la possibilité de se rendre compte de tout cela? Dans quelques mois, semble-t-il. Toutefois, des mises au point de détail restent à faire. Aucune date n'est indiquée ni même prévue pour l'inauguration du musée de la Peinture murale. Au surplus, cette inauguration ne saurait livrer à notre curiosité qu'une partie de l'œuvre entreprise, une première section du musée des Monuments français.
Ce qui à l'heure actuelle est virtuellement achevé, ce qui pourra dans un temps relativement court être montré au public ne comporte que la réplique de monuments dont le plus ancien date du IXe siècle, le plus récent de la fin du XIIe.
Par la suite, à un autre étage du Palais de Chaillot, seront regroupées les reproductions – toujours en couleurs et en forme – de peintures murales des XIIIe, XIXe, XVe et XVIe siècles.
Mais c'est là travail de longue haleine; plusieurs campagnes sont prévues; les monuments à reproduire ont été choisis, des relevés faits; pour être réalisé, le programme envisagé demandera une quinzaine d'années. Les archéologues vivent dans la familiarité des siècles écoulés; ils ne sauraient donner dans le travers contemporain des besognes hâtives et ils ont la sagesse de ne pas redouter les tâches qui exigent de longues patiences.
Raymond Lécuyer
L'Illustration
8-15 avril 1944
Palais de Chaillot
Cité de l’architecture et du patrimoine
Palais de Chaillot
1, place du Trocadéro et du 11 novembre
75016 Paris
Tél. : 01 58 51 52 00
Horaires et tarifs : - ici -
► Site - ici -
L'abbaye Saint-Savin
Savin-sur-Gartempe - 86310
La voûte de la nef représente à elle seule une superficie de quelque 460 m²; le montage bout à bout des scènes qui la décorent formerait une bande de 168 m de long sur plus de 2,5 m de haut. Le chœur de l’abbatiale ajoute encore à ce décor les peintures de sa crypte, où les péripéties du martyre des saints Savin et Cyprien revêtent la quasi-totalité des parois.
► Découverte de l'abbaye à 360° - ici -
Abbaye Saint-Savin
Place de la Libération
86310 Saint-Savin-sur-Gartempe
Tél. : 05 49 84 30 00
Horaires et tarifs : - ici -
Répertoire des peintures murales classées en France
► Base Palissy - ici -
Le statut juridique des fresques
À lire, l'article écrit par Jean Tosti dans la revue "D'Ille et d'ailleurs", qui relate la découverte, puis la rocambolesque histoire de l'ensemble de peintures murales du XIe siècle de la chapelle de Casenoves d'Ille-sur-Tet - 66130 Pyrénées-Orientales (ici).
Le retour en septembre 1997 dans leur lieu d'origine, de deux fresques exceptionnelles: le Christ en gloire et l'Adoration des Mages, après 50 ans de procédures judiciaires, et le résultat d'une décision exemplaire de la municipalité de Genève et de la Fondation Abbegg, qui ont accepté de céder en prêt à l'État Français.
Le 19 mars 2003, le prêt a été transformé en don par décision unilatérale du Conseil administratif de la Ville de Genève.
► En savoir plus sur les fresques de Casenoves - ici -