Abbaye Saint-Hilaire
Tournage de film
Les Trois Messes basses
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Décembre 2008 : on tourne à Saint-Hilaire ...
Si le conte Les Trois Messes basses avait déjà fait l'objet d'un film (Les Lettres de mon Moulin - 1954), dont le scénario, les dialogues et l'adaptation sont dus à Marcel Pagnol, en 2008, une seconde adaptation télévisée, plus libre, fut réalisée pour France Télévision, par Jacques Santamaria qui signa le scénario, les dialogues et la réalisation, avec Patrick Bosso (Don Balaguère), Guillaume Carcaud (Garrigou), Christian Bujeau (le marquis de Trinquelage), Marius Colucci (Alphonse Daudet) et Xavier Aubert (Timoléon).
Ce téléfilm tourné pour partie à l'abbaye de Saint-Hilaire, a été diffusé sur l'antenne de France 2, le 16 octobre 2009, dans le cadre de la collection Au siècle de Maupassant: Contes et Nouvelles du XIXe siècle.
Quelques rares images des décors
L'édition originale des Contes du Lundi
Alphonse Daudet participe à la guerre franco-allemande de 1870-1871, et tire de ses impressions de guerre les Contes du lundi. Une centaine de nouvelles témoignent de cette période marquée par l’humiliation causée par la défaite. Elles sont publiées le lundi dans les journaux (au Soir, à l’Événement), d’où le titre "Contes du lundi".
Les Contes du Lundi éd. 1873 sans les Trois Messes basses
L'édition originale des Contes du Lundi publiée en 1873 par Alphonse Lemerre, éditeur, 27-29, passage Choiseul à Paris, comportait les contes et récits suivants:
Contes du Lundi, La Partie de billard, Le Porte-drapeau, La Vision du juge de Colmar, La Dernière classe, Mon Képi, Le Turco de la Commune, Un Teneur de livres, Un réveillon dans le marais, Monologue à bord, Le Mauvais Zouave, L'Empereur aveugle, etc.
Cette édition en 1 vol. in-18, a été imprimée par J. Claye, 7, rue Saint-Benoît, en papier teinté crème, couverture saumon, 1 feuillet avec au verso la liste des ouvrages de l'auteur, faux titre portant au verso la marque de l'imprimeur J. Claye, titre, 1 feuillet pour la dédicace, 258 pages et 1 feuillet blanc (prix: 3 francs), ne comportait donc pas Les Trois Messes basses.
Il a été tiré un très petit nombre d'exemplaires de cette édition de 1873 sur papier de Chine.
Cette édition originale, devenue très rare aujourd'hui, est divisée en trois séries: La Fantaisie et l'Histoire, Tableaux Parisiens, Caprices et Souvenirs, réunissant 31 contes et récits.
Les Contes du Lundi éd. 1876 avec les Trois Messes basses
L'édition de 1876 sous le titre: Contes du lundi – Nouvelle édition revue et considérablement augmentée, fut publiée par G. Charpentier, éditeur, 13, rue de Grenelle-Saint-Germain à Paris.
Cette réédition contient, en sus des Contes du Lundi publiés par Lemerre en 1873, neuf récits extraits des Lettres à un Absent, livre que l'auteur ne comptait pas faire réimprimer, selon la déclaration de l'éditeur, cité plus bas, et deux pièces inédites: Les Trois Messes basses et La Moisson au bord de la mer.
Cette édition en 1 vol. Grand in-18, a été imprimée par Simon-Raçon, avec une couverture jaune imprimée par Vieville et Capiomont, datée de 1875, faux-titre, titre, 1 feuillet d'avertissement de l'éditeur, 338 pages y compris le feuillet de dédicace, plus 1 feuillet blanc. (Prix: 3 fr. 50.)
Il a été tiré quelques exemplaires de cette édition de 1876 sur papier de Hollande*.
* Cf. Essai de bibliographie des œuvres de M. Alphonse Daudet, par J. Brivois. L. Conquet, éditeur, 1895.
► Texte intégral des Contes du Lundi - ici -
Les Trois Messes basses - Conte de Noël
I
"Deux dindes truffées, Garrigou?…
- Oui, mon révérend, deux dindes magnifiques bourrées de truffes. J'en sais quelque chose, puisque c'est moi qui ai aidé à les remplir. On aurait dit que leur peau allait craquer en rôtissant, tellement elle était tendue…
- Jésus-Maria! moi qui aime tant les truffes... Donne-moi vite mon surplis, Garrigou... Et avec les dindes, qu'est-ce que tu as encore aperçu à la cuisine?…
- Oh! toutes sortes de bonnes choses... Depuis midi nous n'avons fait que plumer des faisans, des huppes, des gelinottes, des coqs de bruyère. La plume en volait partout... Puis de l'étang on a apporté des anguilles, des carpes dorées, des truites, des…
- Grosses comment, les truites, Garrigou?…
- Grosses comme ça, mon révérend... Enormes !...
- Oh! Dieu, il me semble que je les vois!... As-tu mis le Vin dans les burettes?
- Oui, mon révérend, j'ai mis le vin dans les burettes... Mais dame! il ne vaut pas celui que vous boirez tout à l'heure en sortant de la messe de minuit. Si vous voyiez cela dans la salle à manger du château, toutes ces carafes qui flambent pleines de vin de toutes les couleurs... Et la vaisselle d'argent, les surtouts ciselés, les fleurs, les candélabres!... Jamais il ne se sera vu un réveillon pareil.
Monsieur le marquis a invité tous les seigneurs du voisinage. Vous serez au moins quarante à table, sans compter le bailli ni le tabellion... Ah! vous êtes bien heureux d'en être, mon révérend... Rien que d'avoir flairé ces belles dindes, l'odeur des truffes me suit partout... Meuh!...
- Allons, allons, mon enfant. Gardons-nous du péché de gourmandise, surtout la nuit de la Nativité... Va bien vite allumer les cierges et sonner le premier coup de la messe; car voilà que minuit est proche et il ne faut pas nous mettre en retard..."
Cette conversation se tenait une nuit de Noël de l'an de grâce mil six cent et tant, entre le révérend dom Balaguère, ancien prieur des Barnabites, présentement chapelain gagé des sires de Trinquelague, et son petit clerc Garrigou, ou du moins ce qu'il croyait être le petit clerc Garrigou, car vous saurez que le diable, ce soir-là, avait pris la face ronde et les traits indécis du jeune sacristain pour mieux induire le révérend père en tentation et lui faire commettre un épouvantable péché de gourmandise.
Donc pendant que le soi-disant Garrigou (hum! hum!) faisait à tour de bras carillonner les cloches de la chapelle seigneuriale, le révérend achevait de revêtir sa chasuble dans la petite sacristie du château, et l'esprit déjà troublé par toutes ces descriptions gastronomiques, il se répétait à lui-même en s'habillant:
"Des dindes rôties... des carpes dorées... des truites grosses comme ça!…"
Dehors, le vent de la nuit soufflait, éparpillant la musique des cloches, et à mesure des lumières apparaissaient dans l'ombre aux flancs du mont Ventoux, en haut duquel s'élevaient les vieilles tours de Trinquelague.
C'étaient des familles de métayers qui venaient entendre la messe de minuit au château. Ils grimpaient la côte en chantant par groupes de cinq ou six, le père en avant, la lanterne en main, les femmes enveloppées dans leurs grandes mantes brunes où les enfants se serraient et s'abritaient.
Malgré l'heure et le froid tout ce brave peuple marchait allègrement, soutenu par l'idée qu'au sortir de la messe il y aurait, comme tous les ans, table mise pour eux en bas dans les cuisines. De temps en temps, sur la rude montée, le carrosse d'un seigneur, précédé de porteurs de torches, faisait miroiter ses glaces au clair de lune, ou bien une mule trottait en agitant ses sonnailles, et à la lueur des falots enveloppés de brume, les métayers reconnaissaient leur bailli et le saluaient au passage:
"Bonsoir, bonsoir, Maître Arnoton.
- Bonsoir, bonsoir, mes enfants."
La nuit était claire, les étoiles avivées de froid; la bise piquait, et un fin grésil glissant sur les vêtements sans les mouiller, gardait fidèlement la tradition des Noëls blancs de neige. Tout en haut de la côte, le château apparaissait comme le but, avec sa masse énorme de tours, de pignons, le clocher de sa chapelle montant dans le ciel bleu noir, et une foule de petites lumières qui clignotaient, allaient, venaient, s'agitaient à toutes les fenêtres et ressemblaient, sur le fond sombre du bâtiment, aux étincelles courant dans des cendres de papier brûlé...
Passé le pont-levis et la poterne, il fallait, pour se rendre à la chapelle, traverser la première cour, pleine de carrosses, de valets, de chaises à porteurs, toute claire du feu des torches et de la flambée des cuisines. On entendait le tintement des tournebroches, le fracas des casseroles, le choc des cristaux et de l'argenterie remués dans les apprêts d'un repas; par là-dessus, une vapeur tiède qui sentait bon les chairs rôties et les herbes fortes des sauces compliquées faisaient dire aux métayers, comme au chapelain, comme au bailli, comme à tout le monde.
"Quel bon réveillon nous allons faire après la messe!"
II
Drelindin din!... Drelindin din!...
C'est la messe de minuit qui commence. Dans la chapelle du château, une cathédrale en miniature, aux arceaux entrecroisés, aux boiseries de chêne, montant jusqu'à hauteur des murs, toutes les tapisseries ont été tendues, tous les cierges allumés. Et que de monde! Et que de toilettes!
Voici d'abord, assis dans les stalles sculptées qui entourent le chœur, le sire de Trinquelague, en habit de taffetas saumon, et près de lui tous les nobles seigneurs invités. En face, sur des prie-Dieu garnis de velours, ont pris place la vieille marquise douairière dans sa robe de brocart couleur de feu, et la jeune dame de Trinquelague, coiffée d'une haute tour de dentelle, gaufrée à la dernière mode de la cour de France.
Plus bas, on voit, vêtus de noir avec de vastes perruques en pointe et des visages rasés, le bailli Thomas Arnoton et le tabellion maître Ambroy, deux notes graves parmi les soies voyantes et les damas brochés.
Puis viennent les gras majordomes, les pages, les piqueurs, les intendants, dame Barbe, toutes ses clefs pendues sur le côté à un clavier d'argent fin. Au fond, sur les bancs, c'est le bas office, les servantes, les métayers avec leurs familles; et enfin, là-bas, tout contre la porte qu'ils entrouvrent et referment discrètement, messieurs les marmitons qui viennent entre deux sauces prendre un petit air de messe et apporter une odeur de réveillon dans l'église tout en fête et tiède de tant de cierges allumés.
Est-ce la vue de ces petites barrettes blanches qui donne des distractions à l'officiant? Ne serait-ce pas plutôt la sonnette de Garrigou, cette enragée petite sonnette qui s'agite au pied de l'autel avec une précipitation infernale et semble dire tout le temps: "Dépêchons-nous, dépêchons-nous... Plus tôt nous aurons fini, plus tôt nous serons à table."
Le fait est que chaque fois qu'elle tinte, cette sonnette du diable, le chapelain oublie sa messe et ne pense plus qu'au réveillon. Il se figure les cuisines en rumeur, les fourneaux où brûle un feu de forge, la buée qui monte des couvercles entrouverts, et dans cette buée deux dindes magnifiques, bourrées, tendues, marbrées de truffes...
Ou bien encore il voit passer des files de petits pages portant des plats enveloppés de vapeurs tentantes, et avec eux il entre dans la grande salle déjà prête pour le festin. Ô délices! Voilà l'immense table toute chargée et flamboyante, les paons habillés de leurs plumes, les faisans écartant leurs ailes mordorées, les flacons couleur de rubis, les pyramides de fruits éclatant parmi les branches vertes, et ces merveilleux poissons dont parlait Garrigou (ah! bien, oui, Garrigou!) étalés sur un lit de fenouil, l'écaille nacrée comme s'ils sortaient de l'eau, avec un bouquet d'herbes odorantes dans leurs narines de monstres.
Si vive est la vision de ces merveilles qu'il semble à dom Balaguère que tous ces plats mirifiques sont servis devant lui sur les broderies de la nappe d'autel, et deux ou trois fois, au lieu de Dominus vobiscum, il se surprend à dire le Benedicite.
À part ces légères méprises, le digne homme débite son office très consciencieusement, sans passer une ligne, sans omettre une génuflexion, et tout marche assez bien jusqu'à la fin de la première messe; car vous savez que le jour de Noël le même officiant doit célébrer trois messes consécutives.
"Et d'une!" se dit le chapelain avec un soupir de soulagement; puis sans perdre une minute il fait signe à son clerc ou celui qu'il croit être son clerc, et...
Drelindin din!... Drelindin din!
C'est la seconde messe qui commence, et avec elle commence aussi le péché de dom Balaguère. "Vite, vite, dépêchons-nous," lui crie de sa petite voix aigrelette la sonnette de Garrigou, et cette fois le malheureux officiant, tout abandonné au démon de gourmandise, se rue sur le missel et dévore les pages avec l'avidité de son appétit en surexcitation.
Frénétiquement il se baisse, se relève, esquisse les signes de croix, les génuflexions, raccourcit tous ses gestes pour avoir plutôt fini. À peine s'il étend ses bras à l'évangile, s'il frappe sa poitrine au confiteor. Entre le clerc et lui, c'est à qui bredouillera le plus vite. Versets et répons se précipitent, se bousculent. Les mots à moitié prononcés, sans ouvrir la bouche, ce qui prendrait trop de temps, s'achèvent en murmures incompréhensibles.
Oremus ps... ps... ps...
Meâ culpâ…pâ…pâ… Pareils à des vendangeurs pressés foulant le raisin de la cuve, tous deux barbotent dans le latin de la messe, en envoyant des éclaboussures de tous les côtés.
Dom…scum!… dit Balaguère .
...Stutuo!... répond Garrigou, et tout le temps la damnée petite sonnette est là qui tinte à leurs oreilles, comme ces grelots qu'on met aux chevaux de poste pour les faire galoper à la grande vitesse. Pensez que de ce train-là une messe basse est vite expédiée.
"Et de deux!" dit le chapelain tout essoufflé; puis sans prendre le temps de respirer, rouge, suant, il dégringole les marches de l'autel et…
Drelindin din!... Drelindin din!...
C'est la troisième messe qui commence. Il n'y a plus que quelques pas à faire pour arriver à la salle à manger; mais, hélas! à mesure que le réveillon approche, l'infortuné Balaguère se sent pris d'une folie d'impatience et de gourmandise.
Sa vision s'accentue, les carpes, dorées, les dindes rôties sont là, là. Il les touche... il les... Oh! Dieu....
Les plats fument, les vins embaument; et secouant son grelot enragé,. la petite sonnette lui crie:
"Vite, vite, encore plus vite!..."
Mais comment pourrait-il aller plus vite? Ses lèvres remuent à peine. Il ne prononce plus les mots... À moins de tricher tout à fait le bon Dieu et de lui escamoter sa messe... Et c'est ce qu'il fait le malheureux!... De tentation en tentation il commence par sauter un verset, puis deux.
Puis l'épître est trop longue, il ne la finit pas, effleure l'évangile, passe devant le credo sans entrer, saute le pater, salue de loin la préface, et par bonds et par élans se précipite ainsi dans la damnation éternelle, toujours suivi de l'infâme Garrigou (vade retro, Satanas), qui le seconde avec une merveilleuse entente, lui relève sa chasuble, tourne les feuillets deux par deux, bouscule les pupitres renverse les burettes, et sans cesse secoue la petite sonnette de plus en plus fort, de plus en plus vite...
Il faut voir la figure effarée que font tous les assistants ! Obligés de suivre à la mimique du prêtre cette messe dont ils n'entendent pas un mot, les uns se lèvent quand les autres s'agenouillent, s'asseyent quand les autres sont debout, et toutes les phases de ce singulier office se confondent sur les bancs dans une foule d'attitudes diverses.
L'étoile de Noël en route dans les chemins du ciel, là-bas vers la petite étable, pâlit d'épouvante en voyant cette confusion...
"L'abbé va trop vite... On ne peut pas suivre," murmure la vieille douairière en agitant sa coiffe avec égarement. Maître Arnoton, ses grandes lunettes d'acier sur le nez, cherche dans son paroissien ou diantre on peut bien en être.
Mais au fond, tous ces braves gens, qui eux aussi pensent à réveillonner, ne sont pas fâchés que la messe aille ce train de poste; et quand dom Balaguère, la figure rayonnante, se tourne vers l'assistance en criant de toutes ses forces: Ite missa est, il n'y a qu'une voix dans la chapelle pour lui répondre un Deo gratias si joyeux, si entraînant, qu'on se croirait déjà à table au premier toast du réveillon.
III
Cinq minutes après, la foule des seigneurs s'asseyait dans la grande salle, le chapelain au milieu d'eux. Le château, illuminé du haut en bas, retentissait de chants, de cris, de rires, de rumeurs, et le vénérable dom Balaguère plantait sa fourchette dans une aile de gelinotte, noyant le remords de son péché sous des flots de vin du pape et de bons jus de viandes.
Tant il but et mangea, le pauvre saint homme, qu'il mourut dans la nuit d'une terrible attaque, sans avoir eu seulement le temps de se repentir; puis au matin il arriva dans le ciel encore tout en rumeur des fêtes de la nuit, et je vous laisse à penser comme il y fut reçu:
"Retire-toi de mes yeux, mauvais chrétien, lui dit le souverain Juge, notre maître à tous, ta faute est assez grande pour effacer toute une vie de vertu... Ah! tu m'as volé une messe de nuit... Eh bien! tu m'en payeras trois cents en place, et tu n'entreras en paradis que quand tu auras célébré dans ta propre chapelle ces trois cents messes de Noël en présence de tous ceux qui ont péché par ta faute et avec toi..."
Et voilà la vraie légende de dom Balaguère comme on la raconte au pays des olives. Aujourd'hui le château de Trinquelague n'existe plus, mais la chapelle se tient encore droite tout en haut du mont Ventoux, dans un bouquet de chênes verts.
Le vent fait battre sa porte disjointe, l'herbe encombre le seuil; il y a des nids aux angles de l'autel et dans l'embrasure des hautes croisées dont les vitraux coloriés ont disparu depuis longtemps.
Cependant il paraît que tous les ans, à Noël, une lumière surnaturelle erre parmi ces ruines, et qu'en allant aux messes et aux réveillons, les paysans aperçoivent ce spectre de chapelle éclairé de cierges invisibles qui brûlent au grand air, même sous la neige et le vent.
Vous en rirez si vous voulez, mais un vigneron de l'endroit, nommé Garrigue, sans doute un descendant de Garrigou, m'a affirmé qu'un soir de Noël, se trouvant un peu en ribotte, il s'était perdu dans la montagne du côté de Trinquelague; et voici ce qu'il avait vu... Jusqu'à onze heures, rien. Tout était silencieux, éteint, inanimé.
Soudain vers minuit un carillon sonna tout en haut du clocher, un vieux, vieux carillon qui avait l'air d'être à dix lieues. Bientôt, dans le chemin qui monte, Garrigue vit trembler des feux, s'agiter des ombres indécises. Sous le porche de la chapelle on marchait, on chuchotait:
"Bonsoir, Maître Arnoton.
- Bonsoir, bonsoir, mes enfants... "
Quand tout le monde fut entré, mon vigneron qui était très brave s'approcha doucement, et, regardant par la porte cassée, eut un singulier spectacle. Tous ces gens qu'il avait vu passer étaient rangés autour du chœur, dans la nef en ruine, comme si les anciens bancs existaient encore.
De belles dames en brocard avec des coiffes de dentelles, des seigneurs chamarrés du haut en bas, des paysans en jaquettes fleuries ainsi qu'en avaient nos grands-pères, tous l'air vieux, fanés, poussiéreux, fatigués.
De temps en temps des oiseaux de nuit, hôtes habituels de la chapelle, réveillés par toutes ces lumières, venaient rôder autour des cierges dont la flamme montait droite et vague comme si elle avait brûlé derrière une gaze; et ce qui amusait beaucoup Garrigue, c'était un certain personnage à grandes lunettes d'acier, qui secouait à chaque instant sa haute perruque noire sur laquelle un de ces oiseaux se tenait droit tout empêtré en battant silencieusement des ailes...
Dans le fond, un petit vieillard de taille enfantine, à genoux au milieu du chœur, agitait désespérément une sonnette sans grelot et sans voix pendant qu'un prêtre, habillé de vieil or, allait, venait devant l'autel en récitant des oraisons dont on n'entendait pas un mot... Bien sûr c'était dom Balaguère, en train de dire sa troisième messe basse.
Alphonse Daudet
Alphonse Daudet est né le 13 mai 1840 à Nîmes dans le Gard. Il entre au lycée Ampère de Lyon à 16 ans lorsque, son père, commerçant dans les soieries est ruiné. À 18 ans, il publie son premier recueil de poésie "Les amoureuses". Il doit renoncer à passer son baccalauréat et, pendant cinq ans, deviendra secrétaire particulier de M. de Morny.
Il publia avec succès dans le Figaro une série d'articles qui furent réunis en 1862 sous le titre: Le Chaperon rouge. En 1865, dans le Petit Moniteur, sous la signature de Jehan de l'Isle, il écrit ensuite des chroniques intitulées Lettres sur Paris.
En 1866, parurent dans l'Événement les Lettres de mon moulin, signées Gaston-Marie qui furent accueillies par le public avec la plus grande faveur. La même année Le Petit Chose, sorte d'autobiographie fantaisiste, parut chez Hetzel.
En 1870, Daudet publie dans le Figaro Les Aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon, où il met en scène la vantardise méridionale. Ce texte sera publié par Dentu en 1872, l'année de la première représentation de sa pièce de théâtre, L'Arlésienne, sur une musique de Georges Bizet, qui est restée au répertoire, bien qu'elle n'ait eu d'abord que peu de succès.
Bibliographie
La production continuera à être abondante, pour mémoire (cette liste n'étant pas exhaustive):
• 1873, Contes du lundi et Contes et Récits;
•
1874,
Robert Helmont, études et paysages, les Femmes d'artistes, puis
Fromont Jeune et Risler Aîné, roman qui eut un grand succès;
• 1875, Jack, roman sentimental en deux volumes;
• 1877, Le Nabab;
• 1878, Le Char en collaboration avec Paul Arène;
• 1879, Les Rois en exil et Contes choisis, la Fantaisie et l'Histoire;
• 1881, Numa Roumestan;
• 1882, L'Évangéliste, roman parisien;
•
1883,
Les Cigognes, légendes rhénanes, contes pour les petits
enfants;
• 1884, Sapho, mœurs parisiennes;
• 1885, Tartarin sur les Alpes;
• 1886, La Belle Nivernaise;
•
1888,
Trente Ans de Paris, sorte de mémoires littéraires où Daudet
raconte ses débuts à Paris et l'histoire de ses
livres;
• 1888, L'Immortel;
• 1890, Port-Tarascon, dernières aventures de l'illustre Tartarin.
• 1897, Soutien de Famille, roman, dernier texte publié de son vivant.
Alphonse Daudet meurt à Paris en 1897 à l'âge de 57 ans. Il laisse le souvenir d'un être généreux et attentif à son époque et sera l'un des premiers à apprécier et à prendre la défense des impressionnistes.
Livre, revues, disques et un timbre !
À découvrir pour vos enfants, ce ravissant livre illustré par de Chanton, et publié dans la collection Contes du Midi pour enfants sages des Éditions Équinoxe, installées à Saint-Rémy-de-Provence.
Textes d' Alphonse Daudet - Illustrations de Chanton
24 pages - format : 22 cm x 22 cm, cartonné - Prix 9.50 €
► Site des Éditions Équinoxe - ici -
Le conte des Trois Messes basses a été illustré par Mittéï en 1977... Cette adaptation en 8 planches, fut publiée dans le Spirou n° 2071, et reprise ensuite dans l'un des trois albums de la série Les Meilleurs récits du Journal de Spirou.
Enfin, le conte des Trois Messes basses a été enregistré par Fernandel, de son vrai nom Fernand Joseph Désiré Contandin, en 1955, puis 1963 pour DECCA:
Timbre de Monaco polychrome de 1969 célébrant le 100e anniversaire de la publication des "Lettres de Mon Moulin":